Du danger des belles choses

Plasencia → Béjar – 65 km

Le danger le plus insidieux qui guette le voyageur, surtout quand celui-ci enchaîne les destinations extraordinaires (et en 10 jours visiter Sintra, Lisbonne, Évora, Elvas, Mérida, Cáceres et Trujillo, ça fait une impressionnante litanie), c’est qu’il finisse par dire « Mouaif, pas mal mais… ». Difficile de passer à côté d’une certaine forme de lassitude blasée.

La seule solution : sortir de son confort, rompre la routine. Le voyage, c’est le changement. Il faut parfois se faire violence, mais l’enjeu est de taille : ne jamais perdre sa soif de découvertes ! Trois exemples concrets.

Il y a deux jours, lors de mon habituel festin vespéral (mon seul vrai repas de la journée, je le chéris), on me propose en entrée, sans possibilité de choisir, une salade avec du chèvre. Or le fromage de chèvre, c’est un peu mon talon d’Achille culinaire, bientôt 40 ans qu’il m’est impossible d’en manger, et je le détecte de loin. Je m’apprête donc évidemment à laisser la généreuse tranche au fond de l’assiette. Mais je n’aime pas ne pas finir. Alors je tente un petit bout, enrobé d’une épaisse couche de salade. Tiens, cela ne semble pas si pire. Un deuxième bout ? J’ai finalement terminé intégralement mon assiette. Je suis donc désormais capable de manger du fromage de chèvre. Règle n°1 : ne jamais refuser une nouvelle expérience sous prétexte qu’on la soupçonne mauvaise. Elle le sera peut-être, mais on ne sait jamais !

Hier, en parcourant l’agréable ville de Plasencia, j’arrive devant un magnifique bâtiment : le couvent de Santo Domingo, du XVI^ème siècle. Je m’aperçois alors que c’est un parador, et m’apprête donc à tourner les talons (en Espagne, les paradores sont des hôtels de luxe installés dans des bâtiments historiques. Des lieux où je n’irai donc vraisemblablement jamais, à moins bien sûr de devenir riche et célèbre grâce à ces récits !). Mais un mendiant, habilement placé devant, m’indique que je peux rentrer. Soit, rentrons. Et effectivement, il était possible pour un simple quidam, vêtu correctement, de faire le tour d’une partie du propriétaire. Magnifique. Règle n°2 : ne jamais s’interdire de pousser des portes qui nous semblent fermées. Elles le resteront peut-être, mais on ne sait jamais !

Aujourd’hui, tandis que les kilomètres défilent le long d’un superbe ruban d’asphalte, avec en bonus un trafic très faible, mon GPS m’indique de tourner à droite pour rejoindre un étroit sentier de terre. J’ai encore en mémoire les terribles expériences des sentiers andalous du début de mon périple, qui ont malmené cuisses, fesses, et surtout vélo (il ne s’est toujours pas remis des 30 kilomètres de plage). J’ai donc tendance à désormais privilégier au maximum les routes, efficacité. Aussi je m’apprête à hausser les épaules devant cette nouvelle lubie de mon GPS et poursuivre tranquillement sur l’asphalte. Mais je note que le but est en fait de rejoindre quelques centaines de mètres plus loin ce qui ressemble à une ancienne voie ferrée reconvertie en via verde. Allez, après tout je ne suis pas si pressé, et il sera toujours temps de faire demi-tour si je vois que c’est trop galère. Ce ne sera pas trop galère. Alors certes, beaucoup plus long et beaucoup plus physique que par la route, certes mon vélo va peut-être me tirer un peu la tronche les prochains jours, mais quel plaisir les amis, quel plaisir ! Des panoramas spectaculaires, des petites gares abandonnées ou reconverties en buvettes, un tunnel mystérieux et deux serpents indolents ! Règle n°3 : ne jamais privilégier son confort par peur d’un inconnu que l’on craint insurmontable. Rien n’est insurmontable, et la récompense est souvent à la hauteur de l’effort !