Matin ordinaire en Cappadoce

Uçhisar (Cappadoce)

5h30. Les portes claquent dans les couloirs de l’auberge. Les touristes de passage partent en pleine nuit pour leur tour de montgolfière. Ils ont payé suffisamment cher pour cela, hors de question de se faire discret. Et puis si eux sont réveillés, aucune raison pour que d’autres dorment encore.

6h. C’est au tour du muezzin de faire office de réveille-matin. Bon, puisqu’il faut y aller… Dehors il fait encore nuit noire. Les tours-opérateurs sont déjà partis rejoindre les lieux de lancement, éparpillés dans la vallée en contrebas. Ensuqué, j’ai la désagréable impression d’être le seul humain debout du village. Heureusement un massif compagnon à quatre pattes vient rapidement me tenir compagnie, toujours motivé par une balade matinale. Mais où aller ? Tiens, le « château » d’Uçhisar semble déjà ouvert au public. Cet énorme rocher, percé de centaines d’habitations troglodytes depuis longtemps abandonnées, domine tous les environs. Ça me paraît être une bonne option.

L’aube commence à peine à poindre tandis que j’arrive au sommet, merveilleusement vide de toute autre présence. Pour découvrir un spectacle à couper le souffle : jusqu’à l’horizon, plusieurs centaines de ballons géants, encore rivés au sol, s’allument par intermittence, éclairés par les flammes des brûleurs. Et puis soudain, une première montgolfière prend son envol, dans un silence assourdissant. Puis une deuxième. Puis dix, vingt, cent autres. La lumière grandissante vient alors dévoiler les couleurs éclatantes de ces majestueuses sphères de toile et d’air chaud, survolant les paysages lunaires de la Cappadoce. C’est beau à en pleurer.

À ce moment-là débarque un jeune couple d’influenceurs russes. Elle, apprêtée pour aller en boîte, version provocatrice sexy (pour rappel, il est à peine 7h du matin…). Lui, jogging de marque, version sportif cool. Ils vont enchaîner les séances photos pendant une vingtaine de minutes. Elle, accoudée à la balustrade, lascive et désirable. Lui, perché au bord du vide sur des rochers friables, rebelle et courageux. Puis s’en repartiront, non sans avoir vérifié qu’ils avaient suffisamment de matière pour leur story Insta du jour.

8h. Le soleil a bien entamé sa course dans le ciel. Le rocher-château s’est paré d’or et d’ombres. Les ballons ont pour la plupart atterri avec précision directement sur leur remorque, la force de l’habitude. Deux adorables chatons m’ont fait les yeux doux pour je reparte avec eux dans mon sac, en vain. Allez, il est l’heure de redescendre pour un petit déjeuner bien mérité, après avoir contemplé, à quelques minutes d’intervalle, l’incroyable beauté du monde, ainsi que sa pathétique laideur.