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Le pays des Garifunas

Livingston

« Bienvenue au Paradis », vous diront à l’occasion les habitants de Livingston. Mais est-ce légal pour un chrétien d’habiter le Paradis de son vivant ? Je n’ai pas vraiment de réponse. Je peux néanmoins en partie confirmer leurs dires : le coin a un petit côté paradisiaque. Sur un promontoire à l’embouchure du Rio Dulce, avec la jungle d’un côté et la mer des Caraïbes de l’autre. La forêt apporte les vitamines et les matériaux. L’océan fournit les protéines. Un climat agréable toute l’année, avec juste un occasionnel ouragan, mais ils ne sont finalement pas si fréquents dans le coin. Sur le papier, on n’a guère besoin d’autre chose.

C’est ici en tout cas qu’ont échoué une poignée de Garifunas, au terme d’une longue errance. Comme évoqué précédemment, ceux-ci sont issus du métissage entre des esclaves échappés des griffes de leurs bourreaux (les « nègres marrons », histoire de faire le bilan – pour les connoisseurs) avec les quelques autochtones ayant survécus aux épidémies, notamment les Arawaks. Bon, autant vous dire qu’on est sur le tout dernier barreau de l’échelle sociale… Régulièrement massacrés et déportés, les Garifunas ont fini par atterrir pour un temps dans les petites Antilles, et notamment à Saint-Vincent. En 1795, motivés par les idéaux révolutionnaires de l’époque, et soutenus par des Français toujours prompts à emm***er un peu les Anglais qui possédaient alors l’île, ce peuple longtemps persécuté se soulève ! La guerre va durer tout de même 18 mois, histoire d’entretenir un certain suspense, mais malheureusement ne finira pas vraiment bien, vous vous en doutez. Les Britanniques décident alors de déporter ces teigneux rebelles, d’abord pas très loin, à Baliceaux, une île particulièrement inhospitalière. Puis un an plus tard, les survivants sont à nouveau transbahutés, cette fois-ci jusqu’à Roatán. Si personnellement j’ai plutôt apprécié l’île, celle-ci s’avère à l’époque un peu petite pour cet afflux de population, et la plupart des Garifunas finissent par atteindre le continent, où ils fondent quelques colonies, notamment Livingston, en 1806.

Ils y vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants ? Pour ce qui est des enfants, oui. Pour ce qui est de vivre heureux, ce n’est jamais aussi simple. Assimilés dans leurs nouveaux pays d’adoption aux populations indigènes, ils y subissent les mêmes discriminations, ce qui les privent généralement d’un possible ascenseur social. Les jeunes se dépêchent de fuir vers de meilleurs horizons quand ils le peuvent. Drogue et alcool forment le quotidien de bon nombre d’hommes adultes (je précise « hommes », parce que bon, il faut bien que dans le couple il y en ait au moins une qui bosse…). La pêche, depuis toujours la principale pourvoyeuse de ressources, subit de plein fouet les effets de la surexploitation et du réchauffement climatique. Les rivières sont polluées. Les déchets plastiques sont partout. L’élévation du niveau de l’océan ronge les côtes. Bref, le Paradis a du plomb dans l’aile, et dans ses canalisations. La solution pourrait venir d’un tourisme encore relativement confidentiel. Car cette culture singulière (une langue propre, une riche gastronomie, plus évidemment de la musique et des danses), un mélange coloré d’Afrique et de Caraïbes qui cimente ce peuple, peut attirer du visage pâle en mal de chaleur humaine. Mais il va falloir faire vite, sinon il ne restera bientôt plus qu’à repartir. Encore.

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