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Que d’eau, que d’eau !

Abou Simbel → Louxor – 3 h 30 de minibus, puis 3 h de train

Je quitte la Nubie et les berges du lac Nasser pour m’en aller rejoindre Louxor (anciennement Thèbes) et son incroyable collection de monuments antiques. Mais avant de partir explorer ce gigantesque terrain de jeu, je vous propose une petite digression hydraulique.

En 1960, le président Nasser (loué soit son nom, je ne veux pas d’emmerdes) lance la construction d’un gigantesque barrage sur le Nil, six kilomètres en amont d’un autre ouvrage construit par les colons britanniques 60 ans plus tôt, désormais insuffisant et obsolète. Il fait appel pour ce faire à l’URSS, l’occasion d’un partenariat gagnant-gagnant : postérité pour l’un, propagande soviétique pour l’autre. Le titanesque chantier durera près de 11 ans, et donnera naissance à un barrage hors-normes : 3800 mètres de long, 111 de haut, 17 fois le volume de la grande pyramide de Kheops. Par ailleurs son réservoir deviendra le lac Nasser, 6 500 km², guère moins que la superficie de la Corse.

Évidemment les bénéfices pour la population furent instantanés ! De l’électricité dans tous les villages (si le barrage ne représente désormais plus que 10-15% de la production totale du pays, à l’époque c’était plus de 50% !), une navigation du fleuve grandement facilitée, et surtout bien sûr une parfaite régulation des crues du Nil, longtemps soumises aux caprices des dieux. Avec de l’eau à profusion, l’irrigation est désormais possible toute l’année, augmentant grandement les rendements agricoles.

Mais…

Comme d’habitude quand l’homme joue à l’apprenti sorcier avec la nature, celle-ci a tendance à rendre la monnaie de la pièce. Comme conséquences immédiates, je l’ai évoqué précédemment, départ forcé de plus de 100 000 Nubiens, et disparition de dizaines de précieux sites archéologiques, seuls quelques-uns (dont Abou Simbel et Philae) ayant été sauvés des eaux. Puis d’autres phénomènes plus insidieux commencèrent à voir le jour :

  • Développement massif dans les eaux stagnantes du parasite provoquant la bilharziose, maladie peu ragoutante et régulièrement mortelle.
  • Les limons étant retenus par le barrage, ils ne compensent plus l’érosion du lit du fleuve, devenue conséquente. Et ils ne permettent plus non plus la fertilisation naturelle des sols, les agriculteurs ont donc désormais recours massivement aux engrais chimiques.
  • À cause des fortes chaleurs, l’évaporation est particulièrement importante sur le lac Nasser, réduisant le débit du fleuve en aval de 14%. Ce qui entraîne mécaniquement une diminution du contre-courant à l’embouchure du canal de Suez, permettant ainsi à de nombreuses espèces tropicales invasives de se répandre dans la mer Méditerranée.
  • Avec de l’eau à profusion, les agriculteurs souvent mal informés ont tendance à sur-irriguer, ce qui engendre d’autres problèmes en cascade : gaspillage massif, élévation du niveau de la nappe phréatique, salinisation et érosion des sols…

Un tableau assez sombre, qui ne devrait pas vraiment s’arranger à mesure que la population égyptienne continue de croître drastiquement et que le dérèglement climatique mondial s’accélère. Il va peut-être falloir se remettre à prier Amon-Rê, ça avait plutôt bien fonctionné pendant 3000 ans…

4 Comments

  1. P'pa

    Le lac Nasser, voilà qui a de la gueule. Nous on joue vraiment petit avec nos « mégabassines ». Et puis les engrais chimiques ça a quand même une autre efficacité que les limons apportés par le fleuve. L’idée de départ était bonne et puis il y a quand même quelques avantages que par mauvaise foi je m’escrime à cacher. Loué soit Nasser.

  2. Perrot Isabelle

    Je sors d’une conférence sur la biodiversité…c’est effectivement mal barré…et les nouvelles mesures gouvernementales pour l’agriculture ne vont rien arranger ! Tout va bien ! Qui doit-on prier, tu as dit ?

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