Étrange échange

Fethiye

Je profite d’une belle (et fraîche) journée ensoleillée pour découvrir le superbe « prologue » de la Voie Lycienne, entre Fethiye et Ölüdeniz, et pour explorer un peu la ville fantôme de Kayaköy. Autrefois un beau gros bourg de plusieurs milliers d’habitants, à votre avis pourquoi tout là-bas n’est plus que ruines ? Tremblement de terre ? Guerre ? Épidémie ? Radioactivité ? Invasion extraterrestre ? Rien de tout cela, on a fait ici dans l’originalité.

De tout temps, Grecs et Turcs se sont entendus comme chiens et chats. Rien que depuis l’indépendance de la Grèce vis-à-vis de l’Empire ottoman en 1821, les deux pays se sont retrouvés la bagatelle de quatre fois en guerre. La dernière va d’ailleurs se solder par une défaite grecque contre les troupes républicaines d’Atatürk, en 1922. Et le traité de Lausanne qui suit va non seulement fixer les frontières actuelles de la Turquie, mais aussi imposer un échange de population, basé uniquement sur l’appartenance religieuse : les orthodoxes vivant en Turquie dégagent en Grèce, les musulmans vivant en Grèce dégagent en Turquie.

Sauf qu’il y a beaucoup plus de Grecs orthodoxes qui vont déménager de force que de Turcs musulmans, environ 1,5 millions contre 400 000. Ainsi que presque 500 000 chrétiens qui mourront dans des camps ou sur la route, mais on n’est pas à un génocide près. Encore une page particulièrement sympathique de l’histoire de l’humanité (nommée étrangement la Grande Catastrophe par les Grecs), qui marque ainsi la fin de la présence hellène en Asie mineure près de 3000 ans après l’arrivée des premiers colons-explorateurs.

Et Kayaköy ? Eh bien j’imagine que désormais vous vous en doutez un peu, il s’agissait jusqu’en 1923 du village grec de Levissi, déserté pratiquement du jour au lendemain, et jamais réoccupé. Il y a bien eu dans les années 80 quelques promoteurs peu scrupuleux motivés pour transformer le tout en un clinquant village-vacances, mais artistes et architectes s’y sont farouchement opposés. Et ont réussi à faire classer Kayaköy-Levissi au patrimoine historique, figeant à jamais dans le temps plus de 500 petites maisons de pierre à flanc de colline, qui rentrent progressivement en symbiose avec la nature environnante. Surréaliste et apaisant.