Prends ça dans ta tronche

La Havane → Matanzas – 3 h 15 de bus

Histoire de ne pas me spoiler la capitale vu que j’y reviendrai dans quelques semaines avec les copains, et après une arrivée nocturne à l’aéroport avec cinq minutes de sommeil au compteur, je saute dans le premier (et unique) bus du jour, direction Matanzas, à trois heures à l’est de la Havane. L’occasion d’un premier aperçu de la campagne cubaine, entre routes quasi désertes, voitures de collection, usines décaties et jungle préservée. Je pensais écrire un gentil petit article sur la géographie de l’île. Puis j’ai fait une sieste. Et je suis parti explorer un peu la ville. Pour finalement me prendre une (gentille) mandale dans la tronche.

Il y a un ou deux siècles, Matanzas était surnommée l’« Athènes de Cuba » pour sa florissante scène artistique, littéraire et musicale. La révolution est ensuite passée par là. Puis surtout l’embargo étasunien. Et tout s’est effondré. La première chose qui frappe dans la rue, surtout après avoir traversé une bonne partie de l’Amérique Latine, c’est que les gens sont minces. Voire maigres. Ils semblent avoir faim. Mais c’est surtout qu’ils ne mangent ni ne boivent toutes les sal***ries étasuniennes pleines de graisse et de sucre qui ont inondé l’intégralité du continent (si ce n’est du monde). Bien sûr on peut quand même trouver chips et sodas, mais en petite quantité, et à des tarifs exorbitants. Pour se nourrir, on mange donc surtout du riz, des fruits, quelques légumes, à l’occasion un peu de porc ou de poulet. Les seules supérettes que j’ai réussi à dénicher proposent seulement quelques rares produits sur une ou deux étagères, que l’on se contente d’observer à distance, en désignant du doigt son choix final. Il y a tout de même quelques restaurants, et j’ai réussi à faire un bon premier dîner, mais ils ne sont pas pléthores. Alors je vous parle ici d’une ville de taille moyenne (genre Dijon), pas vraiment touristique. J’imagine qu’à La Havane ou dans les grosses stations balnéaires c’est un peu différent, mais je pense tout de même que Matanzas est assez représentative du pays.

Ce n’est que la première touche d’un tragique et magnifique (car la tragédie a quelque chose de magnifique) tableau d’ensemble. Les maisons ressemblent toutes à des palais bourgeois en ruine. Les rares véhicules sont pour la plupart de véritables antiquités sur roues, soigneusement entretenues (pas toujours cela dit, à se demander parfois comme ça roule). Il y a presque plus de vélos qu’à Amsterdam, ça ne tombe que rarement en panne, sacré avantage. Les Cubains sont physiquement hétérogènes, mais vivent globalement tous la même galère. Certains sont pauvres. D’autres très pauvres. Mais je n’ai vu personne éclabousser autrui de sa richesse (peut-être qu’ils se planquent, pas très corporate tout ça…). Et je n’ai vu personne non plus faire la manche. Une pauvreté digne : on vend quelques fruits, on propose une chanson ou un dessin pris sur le vif (je me suis fait croquer)… On sent à la fois la résignation et la combativité : mon pays est ce qu’il est, mais je suis quand même bien décidé à m’en sortir.

Bon je vous rapporte tout ça à chaud, après simplement quelques heures à arpenter une unique ville. Je raconte sans doute quelques co***ries. Mais en tout cas, c’est un spectacle assez étonnant, a fortiori pour le voyageur blasé que je peux parfois être. On aime ou pas, mais on ne peut guère rester indifférent. Cuba prend instantanément aux tripes.

Note : vous m’en voyez navré, mais je risque d’être assez radin sur les photos, étant donné la faiblesse de la connexion réseau et mes datas plus que limitées. Dites-vous que vous avez juste les meilleures…